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Photo : Agence France-Presse (photo) Pierre AndrieuMarine Le Pen a savouré la victoire du Front national en France lors des élections européennes. |
Christian Rioux
Paris, France
Le Devoir
Paris — Une colère sourde gronde en Europe. Les eurosceptiques ont fait une percée majeure à l’occasion des élections qui se tenaient dimanche dans les 28 pays membres de l’Union européenne. En France, où le Front national (FN) arrive largement en avance, cette grogne a provoqué un véritable séisme, dont l’onde de choc n’a pas fini de se répercuter d’Helsinki à Lisbonne.
Pour la première fois dans une élection nationale, le FN est arrivé premier loin devant les grands partis de droite (UMP) et de gauche (PS). Pays fondateur de l’Union européenne, pour la première fois de son histoire, la France va envoyer à Bruxelles une forte majorité de députés eurosceptiques qui réclament notamment la fin de la monnaie unique. Avec 26 % des voix, le FN quadruple ses soutiens et devance de loin l’UMP qui ne recueille que 20 % des suffrages. Quant aux socialistes ils essuient un échec historique avec à peine 14 % des voix. Le pire résultat du parti depuis 1994.
« Ce scrutin est plus qu’une nouvelle alerte, c’est un choc, un séisme », a aussitôt reconnu le premier ministre, Manuel Valls, qui n’hésite pas à qualifier de « médiocres » les scores de la majorité. Tous les analystes, sans exception, parlent d’un « coup de tonnerre ». Pour le député UMP Henri Guaino, dissident dans son propre parti, ce vote exprime « une vraie révolte dans notre pays […]. L’Europe ne peut pas continuer comme ça. Les Français ne le supportent plus ».
« La France étonne le monde, c’est sa vocation », a claironné le vice-président du FN, Florian Philippot, sur les ondes de la chaîne nationale France 2. La présidente du FN, Marine Le Pen savourait cette victoire, qui survient après une forte progression du parti aux élections municipales il y a deux mois à peine.
« Nous avions raison d’avoir confiance dans les Français, a-t-elle déclaré. Le peuple souverain a parlé haut et clair, il a clamé qu’il voulait reprendre les rênes de son destin. » Le FN arrive en tête dans cinq des huit régions électorales. Même celles qui votent traditionnellement à gauche, comme la Bretagne et l’Île-de-France, ont accordé la seconde place au FN.
Pour l’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères Hubert Védrine, « il y a un problème de fond. Le fossé entre les élites européistes et le peuple n’a jamais cessé de se creuser. […] Les peuples européens ne veulent plus du schéma pseudo-fédéraliste. Il faut changer de ton et sortir du mépris ».
Une vague eurosceptique
On ne savait pas dimanche soir si Marine Le Pen, alliée à plusieurs partis d’extrême droite en Europe, arriverait à créer un groupe au Parlement européen. Chose certaine, dans de nombreux pays, les eurosceptiques ont marqué des points. Ils pourraient occuper près de 130 sièges sur les 751 du Parlement de Bruxelles.
Au Royaume-Uni, le United Kingdom Independence Party (UKIP) était crédité de la première place par la BBC. La formation de l’eurosceptique Nigel Farage, qui a déjà fait une percée aux élections locales, remporterait 24 sièges, devant les travaillistes et les conservateurs.
La presse britannique titrait dimanche que les pressions s’accentuaient sur le premier ministre, David Cameron, pour qu’il devance à 2016, plutôt qu’en 2017, le référendum qu’il a déjà promis sur la participation du Royaume-Uni à l’Union européenne.
En Autriche, les nationalistes du Parti de la liberté autrichien (FPÖ) obtenaient 19,5 % des voix. Au Danemark, le Parti populaire danois, au programme anti-immigration et eurosceptique, est arrivé en tête avec 23 %. En Finlande et aux Pays-Bas, l’extrême droite antieuropéenne a cependant enregistré des déconvenues.
À l’extrême gauche, mais tout aussi eurosceptique, Syriza (gauche radicale) est arrivé premier en Grèce, légèrement devant la Nouvelle Démocratie (ND), du premier ministre Antonis Samaras.
En Allemagne, les chrétiens-démocrates de la chancelière Angela Merkel obtiendraient 36 % des voix, dix points de plus que les sociaux-démocrates qui enregistrent tout de même une progression à 27,5 %. Le nouveau parti anti-euro Alternative pour l’Allemagne (AFD) créé l’an dernier et qui plaide pour une sortie de la monnaie unique européenne fera son entrée au Parlement européen avec un score de 6,5 %.
Quel président ?
Le candidat à la Commission européenne du regroupement des partis de droite (PPE), Jean-Claude Juncker, a revendiqué la victoire sur son adversaire, le social-démocrate Martin Schulz (PSE). La droite perdrait 63 sièges selon les estimations, mais resterait la première formation à Bruxelles. En réalité, les rapports entre la gauche et la droite au Parlement européen ne devraient guère changer de façon significative. Jean-Claude Juncker n’est d’ailleurs pas assuré de présider la Commission. En effet, ce sont les chefs d’État et de gouvernements regroupés au sein du Conseil européen qui nomment le président. Le Conseil n’est pas obligé d’obéir au vote de dimanche, mais doit simplement en « tenir compte ». Les tractations dureront de longues semaines et l’on soupçonne Angela Merkel d’avoir son propre candidat caché. Le nom de l’ancien directeur de l’OMC, Pascal Lamy, est un de ceux qui reviennent le plus souvent.
À Paris, compte tenu du coup de tonnerre politique survenu dimanche, le président François Hollande a convoqué une réunion de crise lundi matin à l’Élysée. On s’attend aussi à ce que l’échec de l’UMP dimanche accentue les rivalités en son sein.
À 57 %, l’abstention est légèrement en baisse, mais elle a atteint jusqu’à 87 % en Slovaquie. Le parti de l’abstention demeure de loin le premier parti européen.
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